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Ajouter un accélérateur pour compter les ions de carbone 14

Technique physique nucléaire, la Spectrométrie de Masse par Accélérateur ou SMA  permet d’étendre considérablement la sensibilité de la spectrométrie de masse classique et ainsi de mesurer de très faibles teneurs en éléments ou isotopes (la spectrométrie de masse classique est une technique de détection et d’identification de molécules par mesure de leur masse).

La spectrométrie de masse par accélérateur est apparue à la fin des années 1970. Elle a été développée afin de déterminer les teneurs en isotopes extrêmement rares comme les radio-isotopes naturels à très longue période radioactive (bérylium-10, carbone-14, aluminium-26, etc.) produits par les rayons cosmiques et appelés isotopes cosmogéniques. Dans le cas du carbone-14, la SMA permet de transformer les atomes de carbone de l’échantillon à dater en un faisceau d’ions mesurables en éliminant une grande partie des atomes ou molécules possédant la masse atomique 14.

Appliquée à la datation par le carbone 14, cette technique permet de compter directement les atomes de carbone-14 sans attendre leurs désintégrations comme dans les méthodes classiques par comptage. Comme ces atomes sont beaucoup plus nombreux que les rayonnements émis (1 atome de carbone-14 seulement sur 4,3 milliards se désintègre par minute !), on arrive à analyser des échantillons très anciens dont la teneur en radiocarbone est en voie d’extinction.

Un exemple d’installation SMA est en France l’installation ARTEMIS du Laboratoire de Mesure du Carbone-14 (LMC14) implanté depuis 2004 au centre d’étude de Saclay du CEA.

Schéma de l’installation ARTEMIS
A gauche, des ions atomiques ou moléculaires de masse 14 en provenance des échantillons à analyser sont traités et sélectionnés par un premier spectromètre de masse (A). Ces ions sont injectés dans l’accélérateur tandem (au centre) puis accélérés par une très haute tension (B). Au niveau de l’anode (C) située au milieu de l’accélérateur, un “éplucheur”) transforme les ions négatifs en ions positifs et élimine les ions moléculaires. Les ions atomiques positifs restants sont accélérés à nouveau dans la partie droite de l’accélérateur. A leur sortie (D) la trajectoire des ions de masse 14 est séparée de celles des autres ions atomiques par des déflexions magnétiques et électromagnétiques (E). En bout de trajectoire, des détecteurs (F) recueillent et comptent les ions carbone-14.
© ARTEMIS/CEA/LMC14

Description de la SMA et de son principe.

La teneur en carbone-14 est de l’ordre du millième de milliardième dans l’atmosphère ou les matériaux d’origine biologique. Une teneur si faible qui exclut toute possibilité de mesure par spectrométrie de masse classique. Cette dernière ne permettrait pas de séparer le carbone-14 de nombreux atomes ou molécules – dites isobares – ayant la même masse atomique ou moléculaire, parmi lesquels l’azote (N 14) omniprésente ou certains ions moléculaires tels que 12CH2 ou 13CH. L’intérêt de la SMA est d’introduire plusieurs filtres successifs qui éliminent la quasi-totalité des isobares.

Alors que la technique a été conçue sur des cyclotrons, elle est actuellement presque exclusivement mise en œuvre sur des “accélérateurs tandems” de tension comprise entre 0.5 et quelques millions de volts (MV), particulièrement adaptés à la mesure du carbone-14.

L’accélérateur Tandem est un accélérateur de particules (ions) de type “Van de Graaff” électrostatique qui nécessite l’injection d’ions négatifs: Une très haute tension accélère les ions négatifs injectés. A l’arrivée au niveau de l’anode, un système de stripper (“éplucheur”) transforme les ions négatifs en ions positifs. Ceux-ci sont accélérés une seconde fois dans la partie haute énergie de la machine pour atteindre une cathode.

Il s’agit d’éliminer les ions négatifs de masse 14 autres que le carbone. Les ions d’azote négatif (N14-) sont extrêmement difficiles à produire et par conséquent les ions d’azote-14 sont quasi inexistants. Un deuxième filtre est constitué par le système « d’épluchage » (stripper) qui convertit les ions négatifs injectés en ions positifs par collisions atomiques. Ce système est constitué d’une fine membrane métallique ou d’un canal contenant de l’argon. Au cours de ces collisions, la grande majorité des ions moléculaires (12CH2 ou 13CH) sont cassés et n’interfèrent plus avec le carbone 14. Les quelques rares qui subsistent en bout de chaîne peuvent à leur tour être écartés au moyen d’un dernier filtre.

A la sortie de l’accélérateur, les ions doublement accélérés sont analysés par le spectromètre de masse, qui les sépare en fonction de leur masse atomique. Les ions de masse 14 sélectionnés par le tandem étant des ions de carbone, on pourra ainsi détecter et compter les ions de carbone 14.

Comparaison : datation conventionnelle et par SMA
Comparaison des masses d’échantillon requises et des temps de mesure pour la datation dite conventionnelle (mesure de la radioactivité avec des détecteurs à scintillations) et la datation par spectrométrie de masse couplée à un accélérateur (SMA).
© Evin et Oberlin 2005.

La technique SMA a permis de réduire de mille fois la quantité de matière nécessaire pour dater un échantillon et d’utiliser des temps de mesure très courts (environ 30 minutes). Elle a étendu le champ d’application de la méthode du carbone 14 en permettant de dater des échantillons qui ne pouvaient l’être au préalable, soit du fait de leur petite taille, soit du fait de leur rareté qui interdisait toute destruction ou prélèvement important

Dans le même temps, la technique a permis de reculer la limite des datations au carbone 14 à environ 50 000 ans et donc de préciser ainsi la chronologie d’un grand pan de la Préhistoire. La réduction de mille fois la quantité nécessaire pour un échantillon de datation a ouvert de nouvelles applications. Les très petits prélèvements permettent maintenant la datation des objets ethnographiques, des tissus anciens, des parchemins, des objets d’art en bois, en os ou en ivoire, des peintures de grottes préhistoriques.