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Des muons pour scruter la pyramide de Khéops

Parmi les diverses sources de rayonnements naturels auxquelles nous sommes exposés en permanence sur Terre, on trouve le « rayonnement cosmique », issu de l’interaction de particules de hautes énergies avec l’atmosphère. Ces interactions donnent naissance à de véritables cascades (ou gerbes) de particules formant au niveau du sol une pluie continue et invisible. Dans cette pluie, on trouve notamment des muons, qui sont des particules élémentaires, cousins lourds et instables de l’électron.

Le flux de muons au niveau du sol est relativement faible, de l’ordre de 150 par mètre carré et par seconde. Contrairement à beaucoup d’autres particules, les muons sont très pénétrants, environ la moitié issue du rayonnement cosmique peut traverser un mur de béton de 5 mètres d’épaisseur sans interagir. Mesurer leur absorption dans un objet permet ainsi de déterminer sa densité : plus le nombre de muons le traversant est élevé, plus la densité est faible dans la direction considérée. C’est le principe de la muographie (voir Fig 1 pour illustration) qui permet de sonder l’intérieur d’une structure, là où la photographie ne voit que son aspect superficiel.

Fig.1. Exemple de muographie
Exemple de muographie, en l’occurrence le château d’eau du CEA-Saclay. Les couleurs plus jaunes indiquent un grand nombre de muons, et donc une faible quantité de matière, alors que les couleurs bleues correspondent à un déficit de muons, donc une épaisseur et/ou une densité plus grande. Le dôme et les piliers extérieurs sont bien visibles, ainsi que l’eau dans la partie basse de la cuve. Cette image permet par exemple d’estimer la quantité d’eau dans la cuve.
© CEA-Irfu

En revanche, et compte tenu du flux limité de muons, les temps de pose en muographie sont beaucoup plus longs, de quelques jours à quelques mois selon la structure étudiée. Mais le jeu en vaut la chandelle : accéder à l’intérieur d’un objet sans avoir à l’ouvrir, le casser ou même faire un trou dedans peut avoir de multiples avantages ! C’est pour cette raison que les muons sont utilisés depuis quelques années dans des domaines très variés, par exemple pour sonder l’intérieur des volcans, imager un réacteur nucléaire ou cartographier le sous-sol. Bref, les muons permettent d’explorer des endroits difficiles d’accès ou dans lesquels on ne veut pas trop s’aventurer.

Un autre exemple d’application des muons est la recherche de cavités inconnues dans des pyramides. Dès 1968, le physicien américain Luis Alvarez avait tenté de détecter des chambres secrètes dans la pyramide de Khephren à Gizeh. La technologie pour détecter ces précieux muons était encore rudimentaire, et d’autres équipes ont par la suite essayé de sonder ces édifices mythiques, au Mexique et en Egypte, avec des instruments de plus en plus perfectionnés.

Fig. 2. Installation sur le site de la pyramide de Kheops
Un des télescopes à muons du CEA durant son installation en juin 2016 devant la face Nord de Kheops.
© HIP/ScanPyramids

Récemment en 2016, la mission ScanPyramids, coordonnée par l’institut HIP (Heritage Innovation Preservation Institute) sous l’autorité du ministère des antiquités égyptiennes, a déployé plusieurs détecteurs de muons autour de la grande pyramide de Kheops. Des plaques à émulsion de l’université de Nagoya et un détecteur à scintillateur du KEK (Japon) scrutent les entrailles de la pyramide depuis janvier 2016, et ont déjà révélé l’existence d’un vide derrière les chevrons de la face Nord. Le CEA a également construit trois télescopes à muons, constitué de détecteurs gazeux, et qui ont été déployés à l’extérieur afin de sonder des zones complémentaires des équipes japonaises (voir Fig. 2).

Fig. 3. Pyramide de Kheops : découverte d’une cavité
Résultats de la première campagne de muographie de l’arête Nord-Est, avec la découverte d’une cavité C1 au-dessus de la cavité C2 déjà connue.
© HIP/ScanPyramids et CEA-Irfu

Ces télescopes ont déjà fonctionné pendant plus de 6 mois, et ce dans des conditions particulièrement difficiles (températures supérieures à 40°C, vent de sable, etc…). Lors d’une première mission, ils ont révélé la présence d’une cavité inconnue, située proche de l’arête Nord-Est à environ 110 m de hauteur, un peu au-dessus d’une cavité déjà connue (voir Fig. 3). D’autres campagnes de mesures ont été réalisées depuis, et pourraient permettre d’en apprendre davantage dans les mois à venir sur la construction et l’architecture de cet édifice hors du commun. En attendant, ces résultats démontrent le potentiel de la muographie, et de nombreux industriels ont déjà exprimé un intérêt sur cette technique. D’autres applications sont donc d’ores et déjà en cours de développement, par exemple dans le génie civil.

Octobre 2017 : Nouvelle cavité
Schéma de la BBC montrant l’emplacement de la cavité de grand volume mise en évidence par la muographie. La grande pyramide de Kheops renferme trois grandes chambres intérieures et une série de passages, dont le plus impressionnant est la grande galerie de 47 mètres de long et de 8 mètres de haut.
© ScanPyramids/BBC

Fin octobre – début novembre 2017 : La presse et les grandes chaînes de télévision font état de la découverte d’une seconde cavité de grand volume dans la pyramide. La nouvelle cavité aurait 30 m de long et plusieurs mètres de hauteur.

L’exploration par Scan Pyramids de l’intérieur de Khéops a continué. Ainsi a été annoncée le  3 mars 2023, la découverte d’un passage caché à l’intérieur de la Pyramide. Le passage mesure neuf mètres de long et plus de deux mètres de large.

Sebastien Procureur Physicien à l’Irfu (CEA Saclay), responsable scientifique projet Scan Pyramids